dimanche 3 février 2008

Caricature du prophète - L'aveu


Complexe d’infériorité - Par Arezki Metref

Les caricatures de Mahomet ont, selon Arezki Metref, journaliste et écrivain, suscité des réactions démesurées dans le monde musulman. Celui-ci a développé un complexe d’infériorité, imputable à l’hégémonisme de l’Occident, mais renforcé par la victimisation mise en avant par l’intégrisme.

Des journaux égyptiens et jordaniens empêchés de paraître, des journalistes ­ dont deux en Algérie ­ emprisonnés, des journalistes de la télévision algérienne virés, un prêtre chrétien assassiné en Turquie, deux ambassades à Damas et une autre à Beyrouth incendiées, des procès contre des journaux en France, des manifestations massives dans les pays musulmans et dans certaines villes d’Europe, le boycottage des produits danois : c’est le bilan provisoire des « caricatures danoises ».

Ces réactions à de simples dessins, aussi gravement blasphématoires puissent-ils être perçus, sont disproportionnées. Nous sommes dans la démesure.

Le directeur d’un centre islamique de Malaisie, interrogé par Euronews, en concluait cette vérité d’évidence que « des dessins seront toujours des dessins », si « notre but avait été de donner une image archaïque de l’islam, nous ne nous y serions pas pris autrement ». Indépendamment de toutes les autres conséquences, cette affaire révèle, au fond, l’extrême vulnérabilité psychologique dans laquelle se trouve le monde musulman.

Elle met en relief ce ressort d’une véritable paranoïa civilisationnelle : le sentiment d’être constamment agressé dans son nom propre ! Cette irascibilité qui part au quart de mot est le symptôme d’un déclin. Les civilisations qui se sentent bien dans leur peau se soucient fort peu du petit coup de griffe qui prétend bafouer ce qu’elles ont de plus sacré. Les peuples fragilisés, eux, n’ont pas les mêmes défenses immunitaires. Ils se laissent dominer par les plus extrémistes d’entre eux.

La configuration historique du monde, marquée par l’hégémonisme de ce que le poète palestinien Mahmoud Darwich appelle le « "despotisme universel" américain et des despotes locaux », exacerbe sans doute la porosité du monde musulman au complexe d’infériorité par rapport à l’Occident. L’arrogance et l’étalage insultant des richesses de ce dernier suffisent à fournir l’alibi aux pires réactions épidermiques des musulmans, qui trouvent, en face, de quoi justifier des errements passéistes intrinsèques. (Zone d'ombre du discourt)

La relation de répulsion/fascination que continue à inspirer l’Occident au monde musulman est au coeur de la souffrance de « l’homme malade » qu’il est sans discontinuer depuis la chute de l’empire ottoman. Incapable d’accéder à sa propre histoire, il se voit contraint de n’exister, en bien comme en mal, que par rapport à l’Occident.

Ce conflit chronique, alimenté du côté occidental par des restes mentaux de « Croisades », permet au monde musulman de s’absoudre de la responsabilité de toute action destructrice ou autodestructrice pour l’imputer à l’Occident.(zone d'ombre du discourt)

« Notre problème, c’est que nous avons à traiter avec l’Occident à partir d’une position de faiblesse à la fois matérielle et psychologique. L’admirant avec excès, paralysés par notre complexe d’infériorité, nous avons cherché davantage à le singer en tout qu’à recueillir ses apports dans tel ou tel domaine », reconnaissait déjà en juillet 1990 le chef intégriste tunisien, Rachid Ghannouchi, dans un entretien à Jeune Afrique Plus. Mais un complexe d’infériorité s’exprime toujours sous forme de complexe de supériorité. Lorsque, dans l’émission « Ripostes » (France 5) du 12 février dernier, Fouad Alaoui, secrétaire général de l’Union des organisations islamiques de France (UIOF), explique à Philippe Val, directeur de Charlie Hebdo, ce qu’est la liberté d’expression, nous surprenons ce complexe en flagrant délit de métamorphose. Le docteur Kazem Habib, un militant irakien des droits de l’homme, observe que « la plupart des imams des mosquées d’Europe » enseignent « la haine de l’Occident et des autres religions, parce qu’ils considèrent les Occidentaux comme des impies qui ne sont d’aucune utilité pour l’islam. Ils les voient comme des "parasites" dont il faut se débarrasser, ou qu’il faut convertir ». L’ennui avec cette supériorité proclamée, c’est qu’elle n’offre aucun site historique visible.

Du monde musulman, gouvernements cacochymes et groupes extrémistes confondus, il s’élève un cri étrange qui mêle « le mépris de la vie et l’amour de la mort, la haine de l’autre et la glorification de soi, le dédain de ce monde et [le culte] de l’Au-delà ». Cette caractérisation de l’état dans lequel se trouve le monde musulman est exprimée par le chercheur irakien Madjed Al-Gharbaoui. Le rapport inégalitaire entre Occident et monde musulman suscite un repli identitaire de ce dernier ; même ses élites laïques sont sommées de rejoindre le troupeau. Les élites anti-impérialistes de jadis, celles qui se battaient pour la justice sociale, sont aujourd’hui perplexes. Entre une liberté confondue avec l’éloge de l’Occident et la défense de leurs peuples gangrenés par l’intégrisme, leur coeur balance, en fait, peu. Au mieux, on sort l’un des deux fers au feu. L’un est un discours à consommation externe qui surligne l’intérêt de la démocratie occidentale tout en mettant un bémol sur les excès xénophobes (et, depuis peu, islamophobes) de leur système. L’autre discours, c’est l’alignement sans vergogne sur l’intégrisme au nom de la résistance à la domination de l’Occident sur le monde musulman. Ces intellectuels et politiques arabes sont la cible de la satire du savant et chroniqueur égyptien, Mamoun Fandy, ulcéré par leur hypocrisie devant le terrorisme. « En Égypte, écrit-il, il existe actuellement un groupe d’écrivains et de directeurs, et même de politiciens de plus de 50 ans, qui prennent du Viagra politique, entrent en état d’ivresse et d’excitation quand ils maudissent les États-Unis et applaudissent les terroristes ». Ces applaudissements sont l’incubateur de cette violence qui, un jour ou l’autre, se retournera contre eux.

L’affaire des caricatures montre ceci : l’intégrisme a vaincu la résistance laïque dans le monde musulman. Il s’agit aujourd’hui de sauvegarder la laïcité au niveau universel. Comment ne pas penser précisément à l’Algérie qui a été, pendant dix ans, un laboratoire sanglant, où les tests de résistance ont été menés par l’intégrisme ? La victimisation, grâce à laquelle l’intégrisme est arrivé à se faire entendre en Occident et avoir la préférence des gouvernants de ce dernier sur les démocrates, est restée productive. Elle sert encore dans ce débat sur les caricatures. Il faut que le monde musulman sorte de cette appréhension névrotique de l’Occident.

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